Mise en images de la “transparence psychique” et du poids du transgénérationnel sur la fécondité avec G. Klimt
- aquantinccf
- 21 sept. 2024
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Dernière mise à jour : 22 sept. 2024

Dans Espoir I (peint par Klimt en 1903), une femme enceinte est nue, le corps de profil, mais la tête tournée vers le spectateur avec un air de quasi défi. Au-dessus d’elle, au sommet du tableau, des visages féminins figurant la mort, la vieillesse, la maladie et la folie suggèrent peut-être les dangers qui guettent la femme enceinte dans ce temps de « transparence psychique ». Ce sont peut-être aussi toutes les femmes de la lignée dont l’histoire affleure chez la femme féconde. Une sorte de monstre marin, dont la queue serpente autour des pieds de la femme et sort du cadre, la menace. Les couleurs sont sombres et à dominante froides.
L’Espoir II est beaucoup plus coloré et les tons sont chauds et dorés. La femme, encore enceinte, est entièrement de profil, les yeux clos comme tournés à l’intérieur d’elle-même. Elle est vêtue d’un long manteau à motifs, ouvert sur la poitrine. Son visage est incliné, peut-être attentif aux mouvements de l’embryon, mais aussi aux Vision, avant de s’inscrire dans la poursuite d’Espoir, devenu Espoir I. Que voit la femme en elle ?
Peut-être encore la mort, car une sorte de crâne est représenté sur le devant du manteau... Peut être les femmes de la lignée, peintes au bas du tableau sur le manteau, qui, recueillies, les yeux fermés, semblent soutenir de leur présence la grossesse en cours, et non plus peser sur elle. Elles ne sont plus une menace. Contrairement à la femme d’Espoir I, celle d’Espoir II est sereine, apaisée. Certes, elle sait que sa fécondité la fragilise, physiquement et psychiquement, mais elle est prête. Peut-être est-elle accompagnée par une conseillère conjugale et familiale...

Qu’est-ce que « la transparence psychique » ?
Dès le début de la grossesse, la femme enceinte connaît ce que la psychanalyste et psychiatre Monique Bydlowski a nommé une période de « transparence psychique » ou retour à la « mémoire de l'origine » 1 , de modification du psychisme, de pensées incontrôlées, de mouvements inconscients qui remontent à la conscience, et que la femme s'étonne de découvrir.
Ce sont tout particulièrement les souvenirs de sa petite enfance, voire de la vie in utero, qui refont surface, sous forme de rêves, de lapsus, de fantasmes régressifs, de désirs, de pensées incohérentes. Il n'y a pas lieu de s'étonner de ce qui peut sembler parfois dérangeant ou régressif pour l'entourage et parfois perturbant pour les mères. Normalement, ces remémorations infantiles fréquentes semblent naturelles à la future mère et seront complètement oubliées après l’accouchement. La femme vit comme à l'intérieur d'elle-même, attentive aux mouvements qui la traversent et indifférente à ce qui n'est pas la grossesse en elle. Les investissements professionnels et amoureux passent souvent au second plan. Il y a aussi identification à la mère des premiers soins, une identification même idéalisée, dont la femme a besoin pour devenir mère à son tour. « En enfantant, une femme rencontre sa propre mère et vient à son contact, elle la devient, la prolonge en se différenciant d'elle » 2 , écrit M. Bydlowski. Le passé refoulé d'ordinaire revient inexplicablement et remonte à la conscience. C’est alors que des deuils non faits, des traumatismes non élaborés, des fantômes venus du transgénérationnel, des secrets de famille, peuvent refaire surface. Tristesses inexpliquées, angoisses d'abandon, mauvaise image de soi, défaillance d'attachement, mauvais traitements ou dysfonctionnements peuvent ressurgir. Pour le Dr J.M. Delassus, inventeur de la discipline de la « maternologie », ce sont là les causes possibles d' « effondrement » 3 maternel.
Si l'effondrement a lieu pendant la grossesse, des fausses couches peuvent en découler : «Si le risque d’un effondrement se fait sentir, le moi peut le prévenir en supprimant l’enfant en formation dans le corps de la femme; au niveau inconscient, des réactions physiologiques sont capables d’induire des rejets psychosomatiques. » 4 Et si c'est l'accouchement qui déclenche l'effondrement, on peut craindre ce que Delassus nomme « transféroses » 5 , c'est-à-dire défaillances du cycle du don, impossibilité de la naissance psychique de l'enfant, refus du maternel pour la mère, déni, dépression, voire infanticide et suicide, ou, dans une moins spectaculaire mais toute aussi dramatique mesure, baby-blues et « regret maternel » 6 qui sourd de longs mois et finit par briser le lien entre la mère et l'enfant.
D'où la nécessité d'être vigilant dans le suivi de la grossesse, et pas seulement pour les femmes dites « à risques » en raison d'un environnement visiblement défaillant. La transparence psychique vécue pendant la grossesse ne ressemble à aucun autre état, et nul ne peut prévoir ce qui va surgir de cette remontée de l'inconscient. La femme en apparence la plus stable et la plus entourée peut voir réapparaître des angoisses de séparation bien enfouies, mais que l'état de grossesse rend soudainement actuelles. La méconnaissance de cette transparence psychique et des phénomènes violents qui peuvent l'accompagner contribue à sa possible gravité : la femme ne comprend pas d'où viennent ses angoisses. Alors qu'elle était si heureuse d'être mère, elle se croit coupable, s'en veut de la remontée d'émotions incontrôlables, et se pense finalement mauvaise mère, selon les critères qu'elle s'était représentés.
La crainte de l'effondrement peut être aussi une des raisons de demande d'IVG : la mère ne se sent pas capable de supporter la remontée de cet inconscient soigneusement dissimulé. A la CCF en entretien pré-IVG de savoir discerner une telle crainte.
Delassus propose, pour sortir de l’impasse qu’est le diagnostic habituel de dépression ou de folie, de parler de la difficulté maternelle comme d’un « phénomène humain, très humain, dans la mesure où l’individu peut n’être pas en mesure de trouver en lui les ressources psychiques de la maternité. » 7 Le psychisme, autant que le corps, doit donc être accompagné pendant une grossesse.
1 Bydlowski M., Devenir mère, Paris, Odile Jacob, 2020, p.84.
2 Ibid., p.55.
3 Delassus J.M.,Le sens de la maternité, Paris, Dunod, 2007, p.255.
4 Ibid., p.272.
5 Ibid., p.190.
6 Le thème revient souvent dans les médias. Il y a comme une parole qui se libère de la part de femmes qui, au fond, disent-elles, ne voulaient pas être mères. A lire cependant par exemple le témoignage d’Astrid Hurault de Ligny (Le Regret maternel, Paris, Larousse, 2022), on se dit que, plus que du regret d'avoir donné la vie, c'est de l'accompagnement défaillant pendant la grossesse et après l'accouchement que l'auteur rend compte.
7 Ibid., p.175.
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