Transmissions intergénérationnelles et transgénérationnelles : introduction à la psychogénéalogie.
- aquantinccf
- 21 sept. 2024
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Dernière mise à jour : 22 sept. 2024
La famille est à considérer comme un groupe, dans lequel se transmettent des paroles, mythes, mises en récit qui ont une fonction symbolisante et métaphorisante. Cette transmission intergénérationnelle est contenante et rassurante.
On distingue la transmission intergénérationnelle (entre générations se connaissant) et la transmission transgénérationnelle (sur plusieurs générations parfois lointaines). La première est consciente et transmet l’histoire, l’identité familiale. La seconde est inconsciente.
Il y a donc ce qui est explicitement transmis par la parole, et ce qui est implicitement transmis de génération en génération. C’est ainsi que se lient des générations qui ne se connaissent pas : des fantasmes et des fictions circulent.
Inévitablement, à côté des récits de famille qui fondent le mythe familial, des non-dits, clivages, dénis, traumatismes et secrets de famille sont en même temps transmis par ce « co-inconscient ». Ce qui n’a pas été dit se met à signifier autant, voire plus, que ce qui a été dit. Quand les « trous » dans le récit sont trop nombreux, ou qu’ils concernent des secrets inavouables, des dysfonctionnements apparaissent dans le groupe. Ce qui n’est pas formulé et transformé explicitement par la parole s’accumule dans l’inconscient du groupe familial et risque de ressurgir à une génération ou à l’autre.
L'étude des transmissions de génération en génération est l'objet des auteurs spécialistes du transgénérationnel. Plusieurs concepts leur permettent de nommer ce qui a été observé sur le génogramme, arbre généalogique qui fait figurer non seulement les liens de parenté et les dates, mais aussi les liaisons extra-conjugales, les fausses couches, les IVG, les causes des décès, les maladies importantes... et généralement toute information et tout lien revenus en mémoire.
Anne Ancelin Schützenberger, psychothérapeute spécialiste du transgénérationnel à la suite de l’école de Palo Alto et du psychiatre pionnier Yvan Boszormenyi-Nagy, évoque comme élément décisif du génogramme les «loyautés invisibles» qui existent au niveau systémique et au niveau individuel, et tissent des obligations inconscientes entre les membres du groupe.
Comme l’analyse R. Neuburger, psychiatre systémicien, se constitue un « mythe familial », qui tient tous les membres du groupe. Sur l’individu pèsent des attentes externes et des obligations plus intériorisées, voire inconscientes. Des « rites », ou règles de fonctionnement, viennent confirmer à chaque membre qu’il fait partie du groupe, lui donnant une identité et un sentiment de sécurité. Tous les membres de la famille ne se sentent pas tenus de la même façon par cette loyauté familiale. En effet, le vécu des mêmes événements est différent pour chacun, car la comptabilité des donnés et des reçus est subjective. Par « la comptabilité des dettes et des mérites » certains sont en crédit, d’autres en débit, certains portent des mérites, d’autres des fautes.
Existent aussi des « legs familiaux non financiers » : le nombre d’enfants, les enfants illégitimes, les remariages, les veuvages… Comme si les membres de la famille obéissaient à une règle non écrite, mais héréditaire. Le choix du conjoint obéit parfois aussi inconsciemment à une histoire familiale. Comme « en résonance identificatoire », les conjoints vont retrouver en l’autre un héritage transgénérationnel identique (dépression familiale, deuils non élaborés, colère...). « Le lien conjugal se construit et repose sur les failles de la filiation de chacun des partenaires », observe C. Joubert, failles à repérer pour ne pas reproduire incessamment les mêmes schémas.
A. Ancelin Schützenberger, dans Aïe, mes aïeux, donne de nombreux exemples de répétitions transgénérationnelles, fruits de sa clinique : choix du prénom, accidents « héréditaires » aux mêmes âges, « névrose de classe » qui empêche un enfant de dépasser le niveau d’études de ses parents, « incestes généalogiques » (deux enfants élevés ensemble qui s’épousent, une femme ayant un enfant avec l’ex-compagnon de sa mère, deux sœurs épousant deux frères…) Ces complexités généalogiques provoquent parfois des troubles dans les familles qui en sont issues.
Elle repère également « le vent du boulet », parfois nommé aussi «syndrome du survivant», qui évoque le traumatisme possible de celui qui a réchappé du champ de bataille, ou est né après un frère décédé, etc. et en garde la marque.
La parentification est une inversion des valeurs : les enfants viennent occuper le rôle usuellement attribué aux parents. Par exemple, un enfant aîné doit s’occuper de ses frères et sœurs plus jeunes alors qu’il est lui-même encore un enfant, et ne se mariera pas car il s’occupera de ses parents âgés. Il y a là un déséquilibre relationnel avéré.
« Le syndrome d’anniversaire » pourra aussi éclairer le retour des dates et des chiffres dans les génogrammes observés. On peut citer à ce propos l'exemple souvent repris de Van Gogh, né une année jour pour jour après la mort de son frère, nommé également Vincent : « Comme si, par une opération de calcul, une force inconsciente mettait le corps en demeure de célébrer la commémoration d'un deuil traumatique », commente M. Bydlowski. On pense à Vincent Van Gogh, mais aussi à Honoré de Balzac, né un an jour pour jour après un frère aîné mort à la naissance, qu’il remplace sans pouvoir le remplacer.
« L’inconscient ignore le temps », écrit M. Bydlowski, « en revanche il n’est pas étranger aux cycles » : il n’est pas donc étonnant que des pertes continuent de peser sur des descendants, qu’un « après-coup transgénérationnel » soit à régler, comme un héritage spirituel ou une dette transmise génération après génération. La plupart du temps, la transmission du mandat se fait sans difficulté, mais des traumatismes familiaux anciens non élaborés peuvent peser et inscrire des traces douloureuses dans le psychisme des descendants, qui les ignorent.
C’est là qu’une rencontre avec une conseillère conjugale et familiale, avant un suivi plus long auprès d’un psychologue, peut être intéressant.
Alice Quantin
Notes :
Ducommun-Nagy C., Ces loyautés qui nous libèrent, Paris, J.C. Lattès, 2006, p.211.
Neuburger R., Ces familles qui ont la tête à l’envers, Paris, Odile Jacob, 2005, p.24.
Neuburger R., Les rituels familiaux, Paris, petite bibliothèque Payot, 2003, p.14.
Ancelin Schützenberger A., Aïe, mes aïeux, Paris, La Méridienne, DDB, 15ème édition, 1993, p.40.
Ibid., p.143.
Dupré La Tour M., « Couple et traumatisme », Dialogue, vol. no 168, no. 2, 2005, p.88.
Joubert C., « Le rôle du transgénérationnel dans le lien de couple », Le Divan familial, vol. 18, no. 1, 2007, p.70.
Bydlowski M., Devenir Mère, Paris, Odile Jacob, 2020, p.27.
Ibid., p.75.
Clavier B., Les fantômes familiaux, Paris, Payot, 2014, p.118.
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